Mais que cache ce mot savant de "tribologie"* ? (informations basiques destinées aux non initiés)


*discipline encore appelée "Mécanique des contacts" ou "Mécanique des surfaces".

1er"jet" pour critiques

Définitions :

Étymologiquement, le terme Tribologie utilise la racine d’origine grecque « Tribo », signifiant « frottement ». Schématiquement, celui-ci se manifeste par l’adhérence ou encore la résistance au déplacement entre deux corps en contact.

Si Larousse associe au terme de Tribologie la « Science et la technologie des surfaces en contact animées d'un mouvement relatif », d’autres variantes de cette définition sont largement répandues ; par exemple et de façon non exhaustive :

- Étude ou science du frottement. Plus généralement la tribologie concerne l'étude des surfaces en contact et en mouvement relatif, elle regroupe ainsi la lubrification, le frottement et l'usure des éléments de machine.

-Science étudiant les phénomènes susceptibles de se produire lorsque deux corps en contact sont animés de mouvements relatifs. Elle recouvre, entre autres, tous les domaines du frottement, de l'usure et de la lubrification.

Compte tenu de ma propre expérience, je privilégie cette formulation, sachant que les problèmes à traiter dans la pratique s’étendent au-delà des éléments de machine (sous-entendu la mécanique), à savoir : outillages de mise en forme de divers matériaux (forge, tréfilage, moulage…), organes de machines textiles, prothèses médicales, etc.

De l’utilité… aux effets préoccupants du frottement :

Le frottement est indispensable dans de nombreux domaines qui nous concernent ou nous entourent ; sans lui, notre vie quotidienne, et, plus généralement, certaines fonctions seraient complètement bouleversées :

- vous savez pertinemment ce qui se passe si vos semelles de chaussures, les pneus de votre voiture n’ont plus de liaison au sol lorsque celui – ci est mouillé ou plus encore verglacé;

- comment tiendriez-vous un stylo entre les doigts ?

- comment stopperiez-vous votre véhicule si ses freins étaient inopérants ?

- comment une courroie pourrait-elle entraîner une poulie ?

En me référant à un problème sur lequel j’ai eu à me pencher, je peux dire que la perte d’adhérence peut avoir des causes et effets insoupçonnés : savez-vous que des convois ferroviaires peuvent être stoppés ou retardés, avec des conséquences économiques substantielles dus aux retards (pour les convois de marchandises), lorsque l’adhérence roue/rail devient déficiente ;un des problèmes les plus cruciaux, apparaissant en automne,est l’accumulation de feuilles mortes sur la voie et qui, après broyage, se transforment en véritable lubrifiant en présence d’humidité…

Dès lors que les corps sont en mouvement, le frottement génère un certain nombre de phénomènes indésirables :

-L’usure : elle se manifeste par une perte de forme, de matière. Nombreux sont les domaines où vous avez pu le juger : des plaquettes et disques de frein de votre véhicule aux marches d’escalier en pierre de vieux édifices, en passant par les semelles de vos chaussures… Elle se matérialise entre autres par l’émission de débris (regardez les gonds de vos portes, fenêtres souillés par de la poussière métallique). En mécanique, si cette usure est exceptionnellement considérée comme « normale » ou maitrisée, par exemple lors du rodage des moteurs thermiques, la perte de forme et/ou l’évolution dimensionnelle peuvent affecter des fonctions vitales (précision…) des organes concernés. On imagine aisément que si la taille des particules d’usure est telle qu’elle comble le jeu de fonctionnement dans le cas des « contacts fermés »*, le blocage du mécanisme est inévitable, et constitue une des origines possibles du grippage (arrêt du mouvement par blocage). L’émission de débris peut être rédhibitoire dans certains secteurs comme l’industrie pharmaceutique, l’agroalimentaire si les matériaux ne répondent pas aux critères d’inertie physiologique ; de même, elle a été longtemps un gros souci (problèmes de "rejet") pour les prothèses médicales, nécessitant un choix de matériaux compatibles avec le corps humain (on parle de « biomatériaux »).

Si l’émission de débris était accidentellement accompagnée d’une élévation notable de température, alors on peut imaginer les risques consécutifs à la projection d’ « étincelles »sur des machines destinées à la fabrication d’explosifs !!!

* On distingue les contacts « ouverts » ou « fermés »selon qu’ils permettent ou non l’évacuation naturelle des débris ; exemples non exhaustifs : dentures d’engrenages pour le premier cas, guidages entranslation ou rotation dans le second.

-les pertes par frottement et leur incidence sur le rendement des mécanismes. Prenons l’exemple significatif d’un moteur thermique qui est un modèle assez représentatif en termes de nombre et de diversité des contacts soumis au frottement : arbre à cames, ensemble piston-segments-chemise, paliers de différentes nature..(cf image ci-dessous mais aussi )  Le rendement d’un tel ensemble mécanique est de l’ordre de 40%. La part du frottement sur ce chiffre étant significative, nombre de travaux de recherches ont été entrepris dans ce domaine, notamment à la suite du choc pétrolier de 1979 et restent bien sûr des sujets toujours d’actualité. Concrètement, une réduction de 10 à 15 % des pertes par frottement uniquement sur l’ensemble segments/piston/chemise d’un moteur conduit à une réduction de la consommation de carburant de 1 à 3 % sur un véhicule…

L’abaissement du frottement intéresse d’autres domaines que celui de la mécanique ; par exemple les semelles de ski, les coques de navire...

-l’échauffement : comme vous le savez, le frottement fut exploité par nos lointains ancêtres qui ont domestiqué le feu, et été capables de le reproduire à volonté. Parmi les différentes variantes utilisées, seule la plus simple est représentée sur l’image. Le « nid de chaleur »constitué par la braise issue de la sciure était alimenté par des brindilles de bois d’une essence bien choisie pour générer les flammes De mes souvenirs d’écolier , je me remémore nos « exercices »osés consistant à frotter énergiquement la tranche de notre double-décimètre en bois sur le bureau mais par crainte de représailles et surtout par manque d’expérience et faute d’utiliser les essences de bois adaptées, ces expériences ne faisaient que noircir la zone de contact et générer un peu de fumée nauséabonde…

Si vous souhaitez être rapidement convaincus des effets du frottement sur la production de chaleur, touchez (avec précaution) les disques de freins de votre véhicule après une longue descente… Pire encore, regardez, sans les toucher ( !) les disques de frein en carbone de véhicules de Formule 1portés à l’incandescence sur cette vidéo…Lors d’un freinage extrême de 340km/h à 100km/h en 2.8s (soit une décélération de -5G !), la température des disques peut atteindre 1200°C ! (Source : Renault).

Sachez que les poids lourds disposent, pour la plupart, et en plus des systèmes de freinage classique, de « ralentisseurs » (hydrauliques, magnétiques), permettant d’épargner les premiers qui ne supporteraient pas l’élévation de température sur de grandes distances…Certainement avez-vous en mémoire de graves accidents dus à la déficience des freins sur des véhicules ayant perdu le contrôle du freinage dans de dangereuses descentes…Le phénomène mis en cause est le « fading ».

L’élévation de la température peut engendrer des dilatations, la réduction des jeux de fonctionnement, ou encore la fusion partielle ou complète des matériaux accompagnée d’une véritable soudure lorsque ceux-ci ne sont pas compatibles entre eux. Dans un cas comme dans l’autre, l’échauffement peut donc conduire au grippage (on parle souvent, dans le cas des moteurs thermiques de « serrage »)

L’échauffement est directement lié à la pression de contact et à la vitesse de frottement ; aussi, trouve-t-on, dans les catalogues de fournisseurs de matériaux dits « de frottement », les limites d’utilisation exprimées par le produit de ces deux facteurs (produit PV).

Pour information, sachez que les échauffements ne concernent pas exclusivement les contacts entre solides. Un exemple typique est celui du déplacement à grande vitesse dans l’air : lors de leur rentrée dans l’atmosphère, certaines parties des engins envoyés dans l'espace (sondes, fusées, navettes spatiale ) peuvent atteindre plusieurs milliers de degrés (utilisation nécessaire de « boucliers thermiques »).Sur l' illustration, correspondant à une simulation des contraintes thermiques,les parties les plus brillantes sont les plus chaudes.

-Le bruit : Vous faites peut être encore partie de celles ou ceux qui ont connu le crissement – oh combien agaçant !!!– de la craie sur le tableau noir. Vous n’êtes pas moins irrités par le couinement des freins de votre véhicule ou des gonds d’ouverture (maison, voiture…). Vous n’avez certainement pas pu rester insensible un jour ou l’autre au bruit d’enfer des convois ferroviaires entrant en gare (freinage).Pour la plupart, ces désagréments résultent d’un frottement instable qui est source de vibrations. On peut apporter cette explication un peu plus scientifique : une part de l’énergie dissipée par frottement est rayonnée sous forme acoustique...

Plus agréable à l’oreille, le son résultant du frottement de l’archet sur les cordes tendues d'un violon, violoncelle…est aussi d’origine vibratoire.

Pour des questions de "furtivité", les véhicules  militaires – notamment les avions – sont conçus pour échapper à leur détection par radars. La discrétion acoustique est une nécessité sur les sous-marins. 

Les lubrifiants : Dans une situation de frottement mécanique, ils sont utilisés pour séparer les corps en contact, réduire l’énergie perdue par frottement, le bruit, drainer les calories (à condition qu'il s'agisse d'un fluide circulant et refroidi, comme c'est le cas dans un moteur thermique). L’usage de lubrifiants pour réduire les frottements est connu de longue date. Sur l’illustration remontant à l’antiquité égyptienne, on note la présence d’un individu (esclave ?) déversant de la graisse animale (contenue dans une jarre) pour réduire la résistance à l'avancement de chariot en bois servant à déplacer une statue.( première trace écrite de l'usage d'un lubrifiant: Peinture du tombeau deTehuti-Hetep, El-Bershed – 1880 av JC –).

La nature étant bien faite, l’un des meilleurs lubrifiants connus est le liquide synovial des articulations du corps humain…

Malheureusement, dans certaines situations, l’usage de lubrifiants n’est pas sans créer des soucis : obligation d’opérations périodiques de maintenance, pollution de l’environnement… Aussi, la simplification ou la suppression pure et simple du graissage,qui constitue  une préoccupation de plus en plus fréquente est un problème souvent posé aux tribologues…Incontournable pour la réduction des frottements (rendement), l'évacuation des calories, vous comprendrez pourquoi le moteur thermique fonctionnant sans lubrifiant n’est pas pour demain !!!Pour l'anecdote,c'est la réponse que j'apportai il y a quelques années à l'occasion d'une rencontre avec un représentant du Ministère de l'Environnement qui était entre autres préoccupé par les problèmes de pollution posés par les "vidanges sauvages" des véhicules en pleine nature. Sur le plan environnemental, les lubrifiants classiques sont de véritables poisons; or,en France seulement, en 2002, on estimait à 150 000 tonnes la quantité d'huile perdue dans la nature!!!Des progrès ont été réalisés avec la mise au point de lubrifiants dits "bio"(pour biodégradables) (Source)  

En dehors des lubrifiants les plus répandus(huile, graisse), existe aussi la catégorie des lubrifiants solides, réservés aux utilisations en ambiances spéciales: sous vide, en présence de radiations, à très basses ou très hautes températures...Par souci de simplification, c'est à dire pour ne pas énumérer et décrire de manière fastidieuse tous les produits de cette famille, je me limiterai à celui le plus connu par chacun d'entre nous, le graphite. Dans nombre de situations, ces composants sont incorporés dans un "liant" pour être mis en œuvre sous forme de revêtements de surfaces.

Un lubrifiant solide "multi usages": le talc. En dehors des utilisations bien connues de ce produit naturel pour les soins de bébés, le talc fait souvent partie des excipients de certains médicaments; il est en effet utilisé pour faciliter la mise en forme des comprimés et plus précisément pour éviter l'adhérence, le collage des composants sur les outils de mise en œuvre (matrices, poinçons...).Pour ma part, en tant qu'adepte de la course à pied (endurance), j'ai pu juger – comme d'autres sans doute – de l'efficacité de ce produit pour mettre fin, à moindre coût, à l'un des principaux désagréments, les ampoules, par poudrage de l'intérieur des chaussettes...(Pour mémoire et sans doute l'aurez-vous compris, les ampoules résultent d'un frottement associé à l'élévation de température de la peau...)  

Quelques données sur les enjeux économiques :

D’après diverses études, il ressort :

- que 80 % des avaries des pièces mécaniques s’initient en surface.

- que dans les pays développés, les pertes par frottement et usure représentent entre 3,5 et 4 % du PIB ; le coût de l’usure dans les années 1990 en France, se chiffrerait à 164 milliards de Francs (25 milliards d’euros), soit près de 3 % du PIB (la corrosion, autre fléau de notre industrie, se situe à 4 % du PIB). Dans la décomposition des dépenses, les frais d’entretien – maintenance représentent, à eux seuls, près de 50 % du coût global.

Sans titre

Diffusion de mon savoir-faire: publications, formation...

Ouvrages de référence :

Ouvrages collectifs :

" Manuel industriel de l'usure et du grippage" - HEF –  CETIM - Éditions Science et Industrie, 1973.

" Traitements et revêtements de surface à usage tribologique" -Pratique des matériaux industriels - Dunod - 1990

" Guide d'emploi des traitements de surfaces appliqués aux problèmes de frottement " -Ouvrage rédigé par Michel Cartier, édité au nom de son ancien employeur HEF- Éditions Lavoisier - Juin 2000 (retirage 2013).

Le même ouvrage que ci-dessus traduit en langue anglaise pour une diffusion à l’international:" Handbook of Surface Treatments and Coatings " - Michel Cartier, T. A. Polak, G. D. Wilcox - Professional Engineering, 2003.

Chapitres d’ouvrages collectifs :

- " Les matériaux en conception tribologique" - Michel Cartier - Recueil de conférences CETIM 2006.-

 "Comment poser un problème de Traitement de Surface"Jean-Paul Terrat  et Michel Cartier(HEF) Techniques de l’ingénieur- Mars 2000(1)

 " Usure des contacts mécaniques - Maîtrise de l’usure et du frottement " Michel Cartier (HEF) ; Philippe Kapsa (Directeur du laboratoire de Tribologie et Dynamique des systèmes, UMR CNRS 5513) - Techniques de l’Ingénieur - Octobre 2001.(2)

 " Fatigue superficielle des pièces en frottement- Influence des traitements de surface" - Michel Cartier, Yvon Terrasse - Matériaux Mécanique Électricité, Septembre-Octobre 1990, pp. 13 à17.

Exemples d’études ou actes de R&D auxquels j'ai été associé:

- Problèmes industriels solutionnés : Mécanique des Surfaces - catalogue de cas concrets - HEF. (Recensement non exhaustif des études réalisées, sous forme de résumés soumis à l’accord des donneurs d’ordre).

- Acte de Recherche mené en collaboration avec d’autres laboratoires : " A study on ski sliding - Etude de la glisse du ski " (3) INSA de Lyon Groupe d'Etudes de Métallurgie Physique et de Physique des Matériaux, Skis Lacroix; HEF; Ministère de la Recherche et de la Technologie; Métravib RDS.*

-Différents contrats de Recherche et Développement européens dans le cadre du PCRD (4).

J'ai aussi fait connaître mon savoir-faire par l'enseignement, d'une part dans le cadre de la formation continue (stages inter et intra - entreprises), d'autre part dans quelques écoles régionales: École Centrale de Lyon, IUT et CNAM de Saint-Étienne; dans ce dernier établissement, et aussi étrange que cela puisse paraître, je fus à la fois élève et animateur d'une discipline incluse dans la filière "Métallurgie" ("traitements de Surfaces").

* Ce sujet mérite que j’y accorde une parenthèse car d’une part elle sortait des « sentiers battus », c'est-à-dire des actions de R&D axées pour la plupart sur la mécanique et domaines connexes, d’autre part elle se déroula dans un contexte relationnel assez exceptionnel, enfin elle connut paradoxalement un prolongement insolite et surtout un épilogue tragique…